De gauche à droite : Philippe Prudent, Bruno-Michel Abati et Jean-Yves Loude
Ça coule de source… Derrière ce nom sonnant comme une évidence, se cache l’un des plus audacieux projets de feu le Centre Culturel Associatif Beaujolais : une résidence d’artistes itinérante partit sillonner le Haut Beaujolais de l’eau, en juin 2018. A bord de la Caravane de l’eau, le guitariste et compositeur Bruno-Michel Abati, l’écrivain voyageur ethnologue Jean-Yves Loude et le cinéaste Philippe Prudent. Le résultat de leur travail est enfin disponible dans un coffret DVD/Livre digital/CD
Quelque peu négligé par rapport à son cousin des vignes, le Haut Beaujolais mérite d’être (re)découvert et mis en valeur. Traversé par la ligne de partage des eaux, ses paysages, magnifiques, mais aussi son histoire, son économie, ses traditions et sa culture sont façonnés par l’eau. Fort de ce constat, en 2017, nait l’idée de Ça coule de source. Le projet est hors normes, du fait de sa transversalité – il va d’une collecte de la mémoire à des créations artistiques multiformes, en passant par un volet touristique – et du nombre de parties impliquées.
Le circuit de la Caravane de l’eau passe par Beaujeu, Poule – Les Echarmeaux, Propières, Saint-Bonnet-des-Bruyères, Monsols et Jullié. Elaboré durant de longs mois avec les municipalités, les associations et les habitants de chaque communes, l’événement présenté à l’occasion du festival d’été du CCAB Festiplanète, offre à chaque escale de deux jours des animations, des spectacles, des rencontres avec les artistes en résidence, et l’inauguration d’une œuvre pérenne.
En effet, des plasticiens ou artisans d’art sont associés au projet : les œuvres qu’ils créent seront autant de traces de l’aventure visibles par les touristes qui referont le circuit. La peintre Vilma Alberola à Beaujeu, le plasticien Bruno Rosier à Poule – Les Echarmeaux, le vannier Hervé Brisot à Propières, le peintre Numa Droz à Saint-Bonnet-des-Bruyères, la peintre Geneviève Garcia-Gallo à Monsols et le plasticien Némo à Jullié livrent donc des œuvres originales, réalisées avec une participation plus ou moins importante des écoliers de chaque village.
En journée, Bruno-Michel Abati, Jean-Yves Loude et Philippe Prudent, parcourent les chemins et les forêts, partent à la découverte des sources, étangs, zones humides et tourbières, rencontrent protecteurs de la nature, anciens, fortes personnalités… Le réalisateur capte le message que les habitants du Haut Beaujolais veulent faire passer, filme la nature, l’ethnologue noircit ses carnets avec les témoignages collectés, tandis que le compositeur improvise des thèmes que lui inspirent les paysages.
En 2019, la restitution de la résidence, sous forme de spectacle mêlant texte, images et musique, est présentée pendant le festival en Beaujolais – Continents et Cultures. Mais depuis… plus grand chose. Ça coule de source semble tombé dans l’oubli, les œuvres de Poule – Les Echarmeaux et Propières se sont avérées moins pérennes que prévu, et le circuit touristique qui devait permettre à tous de revivre la belle aventure n’a jamais vu le jour…
Bruno-Michel Abati, Jean-Yves Loude et Philippe Prudent ne baissent pas les bras et sortent enfin leur coffret, Haut Beaujolais de l’Eau.
Pour Jean-Yves Loude, qui est originaire du Haut Beaujolais et y vit en permanence, c’est une aventure singulière de poser son regard sur ce territoire qu’il connait si bien. Plus qu’une enquête d’ethnographie, il l’envisage comme une flânerie de 15 jours, presque d’ordre poétique. Mais dans les témoignages collectés, il y a à la fois une volonté de mémoire et de réflexion sur des pistes pour le développement ou la préservation des sites, des interrogations sur l’avenir. C’est pourquoi le texte plus littéraire prévu à l’origine devient le Dictionnaire Fluide et affectueux du Beaujolais de l’eau. Cette forme permet une entrée facile pour qui veut comprendre cette région rapidement. Le film de Philippe Prudent, avec la beauté des images, en est un complément sensible et précieux..
Le cinéaste filme l’eau depuis une décennie sur tous les continents quand on lui propose de participer à l’aventure. Pour lui cela tombe bien, ce sera une manière de clore dans le Haut Beaujolais, non loin de Chasselay où il a grandi, un cycle débuté dans le pays cévenol. Pendant les quinze jours de la résidence, il tourne environ 14 heures. Comme toujours le montage est une torture : Retour aux sources ne doit durer que 52 minutes, introduction et épilogue compris. Il faut couper, ne garder que l’essentiel. Pour respecter la même règle du jeu des deux autres, il s’interdit de retourner filmer quelques séquences manquantes. Finalement il organise le film par thèmes, chapitrés par des cartons, plus que comme un carnet de route, ce qui donne du rythme et compense l’éventuel déséquilibre entre les communes.
Bruno-Michel Abati, né à Dakar, n’a lui aucun lien avec le Beaujolais. La Suite Eau Beaujolaise en six tableaux pour guitare classique qu’il compose est un belle manière d’exprimer son ressenti à la découverte du territoire. Construite à partir des idées relevées durant la résidence, elle restitue le débit régulier de l’eau, l’espièglerie des fées des rivières, le sifflement de la ligne que jette le pêcheur, le ruissellement des eaux qui se partagent entre Altantique et Méditerranée… Son œuvre remplit pleinement le défi qu’il s’était imposé : écrire une musique qui puisse aussi bien illustrer le film de Philippe Prudent que mener sa propre vie, rentrer dans le répertoire de tout guitariste classique. La partition sera d’ailleurs prochainement éditée.
Résultat d’un belle histoire d’amitié, d’une connivence qui a permis la complémentarité des trois expressions, le coffret est aussi une outil pour faire connaitre une région qui n’a jamais bénéficié auparavant d’une telle étude – même si Jean-Yves Loude le précise, ce n’est pas un vrai travail de recherche.
Pour se procurer le coffret : c1d.fr