Les 7 et 8 juin, la ville de Villefranche et la cité scolaire Claude Bernard ont accueilli Mundiya Kepanga, chef de la tribu des Hulis, de la région des Hautes Terres de Papouasie-Nouvelle-Guinée. Figure de la lutte contre la déforestation, cet homme humble et facétieux, à l’intelligence acérée, intervient régulièrement dans les écoles pour faire connaître la culture de son peuple. Entretien via la voix de son accompagnateur et traducteur Philippe Gigliotti.

Que pensez-vous de notre pays, de notre mode de vie ? 

M.K. : la première fois que je suis venue dans votre pays j’ai eu peur d’être empoisonné avec toute votre nourriture chimique ! Quand on est sorti de l’aéroport, il y avait un énorme embouteillage. Mais ça m’a permis d’admirer toutes ces voitures… Je n’en avais jamais vu autant. Et quand j’ai vu la tour Eiffel, je n’arrivais pas à croire qu’elle avait pu être construite par les hommes… Je ne juge pas votre pays. Ce qui me plait je le garde, ce qui ne me plait pas je l’oublie.

Vous avez participé à la COP21 en 2015. Que pensez-vous de ces conférences internationales ?Qu’est-ce que cela vous a apporté ?

M.K. : Ça me dépasse un peu… Les politiciens parlent beaucoup et agissent peu.  A la COP 21, un homme avec un beau costume m’a dit : « vous qui êtes habillé comme ça [ndlr : avec ses parures de plumes] vous devez venir de la jungle, vous devez savoir parler à la nature, vous devez savoir comment arrêter le changement climatique ! » Je lui ai répondu que ni moi ni mes ancêtres ne savions parler à la nature. Que je n’étais jamais allé à l’école et que c’était aux scientifiques comme lui de donner des conseils.  

Mais je me suis souvenu d’une légende qui raconte la création de la terre. L’esprit qui a tout créé a dit aux hommes qu’ils étaient les frères des arbres, qu’ils devaient les protéger, que si les arbres disparaissaient, ils disparaîtraient aussi. Chez nous, on dit que quelqu’un qui ne plante pas d’arbres n’a pas d’avenir, va mourir très vite. Toute notre vie est liée à la forêt, l’initiation des adolescents à leur vie d’adulte se fait dans la forêt pendant des mois, voire des années. On plante des arbres à notre naissance, à notre mort : c’est notre manière de garder le souvenir des morts… Chaque clan descend d’un animal qui vit dans la forêt… Alors pour nous, c’est très douloureux de voir les machines couper des arbres sains.  Nous ne prélevons que ceux dont la cime est en train de mourir.  Les Hulis sont proches de la nature et savent la protéger, mais n’ont pas de solution miracle.

C’est tout cela qui nous a donné l’idée de tourner le film Frère des arbres pour dénoncer la déforestation dans mon pays. Et je me rends compte que partout, il touche le public, les gens sont très sensibles à son message… 

Une suite à Frères des arbres

Le film est sorti en 2017. Il dressait un tableau assez terrible de la situation, notamment sur les zones côtières, pillées par les compagnies forestières, souvent dans l’illégalité. Qu’en est-il aujourd’hui, y a-t-il eu des progrès ? 

M.K. : Je viens des montagnes où il n’y a pas trop de déforestation. Sur les côtes, depuis le tournage, il y a eu des progrès, notamment grâce à l’action de Gary Juffa, gouverneur de la province d’Oro. Il a fait complètement interdire l’exploitation forestière dans sa province et surtout il a initié un mouvement général qui s’appelle « Take back PNG » (Récupérons la Papouasie), qui, entre autres, lutte contre les compagnies qui pillent le pays sans contreparties pour son développement. Grâce à cela, on est passé de 300 compagnies forestières à seulement 50 aujourd’hui. Et les lois censées favoriser le développement du pays, qui permettaient au gouvernement de décider à la place des propriétaires terriens du sort de leurs terres, ont montré leur échec complet et ont été abrogées. 

Que vous apportent les rencontres avec les enfants ? Qu’espérez-vous leur transmettre avec vos livres ?

Mundiya Kepanga : Je tiens à préciser que je n’ai fait que raconter mes histoires. C’est Marc Dozier qui a écrit et illustré les livres avec ses photos.  Quand je suis venu en France pour la première fois en 2003, je me suis rendu compte que vous faisiez commerce de tout, même de votre culture et de votre histoire. Cela m’a inspiré : moi aussi j’ai une culture, un pays merveilleux à faire connaître ! C’est comme ça que sont nés les livres. Et j’ai aussi créé une maison d’hôtes où je vous accueillerai avec plaisir ! Avec ces livres, ces rencontres, j’espère planter des graines dans l’esprit de la jeunesse et que cela germera.  J’espère faire des enfants mes ambassadeurs !

Quels sont vos projets pour l’avenir ? 

M.K. : Nous allons tourner un autre film, qui proposera cette fois des solutions et des alternatives à la déforestation. 

Arbres d’ici, arbres d’ailleurs, agir là-bas, agir ici 

 

C’est grâce à sa rencontre avec le photographe Marc Dozier en 2001 que Mundiya Kepanga a pu tisser des liens forts avec notre pays. Ensemble ils ont réalisé deux films –  L’Exploration Inversée et Frères des arbres – et édité plusieurs ouvrages.  Il était de retour à Villefranche début juin, après une première visite en 2019, à l’initiative de Virginie Schietse documentaliste à Claude Bernard, en collaboration avec la Médiathèque, Olivier Mandon, adjoint au maire pour le développement durable, et le cinéma Les 400 Coups.  

 

Pour préparer sa venue, un projet pédagogique transversal à toute la cité scolaire, intitulé « Arbres d’ici, arbres d’ailleurs, agir là-bas, agir ici », a été monté autour de la sensibilisation à l’environnement, à la déforestation, et le rapport à l’Autre et la différence de culture. Plusieurs disciplines se sont impliquées : SVT, français, anglais, histoire géographie, sciences économique et sociales et même mathématiques, puisqu’une classe de collège a travaillé, entre autres, la géométrie à partir des masques traditionnels papous ! En cours de français, les élèves ont réalisé de minuscules livres (2 x 3 cm) pour raconter en images notre culture. Suffisamment petits pour que Mundiya Kepanga puisse les ramener dans son village où il rêve d’avoir une bibliothèque, lui qui ne sait ni lire ni écrire….

 

Le projet comprenait évidemment un volet important sur le parc-arboretum du lycée, inaccessible plusieurs années à cause de travaux et enfin rendus aux élèves l’automne dernier : travail d’identification des arbres, préservation de la zone de biodiversité créée lors de la première venue de Mundiya Kepanga, création d’une haie sèche pour attirer oiseaux et autres petits animaux… Et bien sûr plantation d’un arbre – de judée – avec son aide. 

 

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